Parler en verlan, est-ce parler français ? Laisse béton le bon ton !

Si c’est en 1968 que le mot verlan revêt une orthographe officielle et attestée, son histoire traverse le temps et les frontières tant sociétales que linguistiques. Mais parler verlan est-ce pour autant parler français ?
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Remonter au verlan du temps – remonter le temps au verlan. Vers l’an quoi ?

Dans la tradition orale, le verlan c’est l’histoire de secrets et de codes pour nommer et triturer des mots et des messages que l’on adresse à quelques initiés. Parler verlan, c’est au départ parler à rebours de règles et parfois d’entraves. C’est le langage des éperdus de liberté.
N’en déplaise, ce mode d’expression ne date pas de l’avènement du rap et de l’expression dite des « téci », mais fait son apparition au XIIe siècle au plein cœur de l’amour courtois et de l’épopée légendaire de Tristan (Tantris) et Iseult. Il se développe ensuite au XVIe avant d’être fortement utilisé durant la 2nde guerre mondiale pour crypter les messages au nez et à la barbe des Allemands, puis dans les milieux populaires de Paris et de sa banlieue. De l’élégance à la française au choix d’imposer sa vision politique, le verlan s’érige ainsi depuis presque toujours comme une langue dans la langue, comme le français des Français.

 

Rentrer dans le dictionnaire par effraction

Si la Méthode Voltaire fait aujourd’hui figure de proue du bon apprentissage de la langue française, sachez que Voltaire lui-même, de son vrai nom, François-Marie Arouet a choisi son nom d’auteur en inversant les syllabes de la ville d’Airvault ! De la même manière qu’il surnommait Denis Diderot, « Monsieur Tompla », en référence à Platon. Les arts et la littérature n’ont eu de cesse de verlantiser leurs noms jusqu’à aujourd’hui, lisez Straome, reconnaissez le « Maestro » !
Et puis c’est en 1953, avec le roman policier Du rififi chez des hommes d’Auguste Le Breton qu’est formalisé le « verlen » ou « vers-l’en ». A partir de là, rebelles et amoureux de la vie hors cadre ne cesseront d’en user, en commençant par Jacques Dutronc qui chanta avoir « la vellecère qui zéfeu des gueuvas » et par qui depuis le verlan a investi les banlieues parisiennes. 

 

Téma (ou pas) la société ?!

« - Saïd tema la vache ! » C’est dans la Haine, film sorti en 1995 que toute une génération se reconnait encore aujourd’hui. De l’argot acidulé ou sentimental de Renaud (« laisse béton ») dans les années 1980 au rap de NTM (« passe le oinj ») dans les années 1990 ou de Fianso (Sofiane de son vrai prénom) aujourd’hui, le verlan s’est imposé comme l’expression d’une société s’affranchissant de règles à conditions d’en proposer de nouvelles construites sur la richesse des cultures. Ainsi, le verlan ne s’arrête pas à une simple figure de style inversant les syllabes mais créé un laboratoire de mots et de sonorités aux couleurs d’un pays ouvert sur tous les possibles. Car s’il est question d’identités, c’est peut-être à leurs rencontres que se que créée celle de la France, aux rythmes (d)étonnant des mots et de ses diversités. Alors pourquoi ne pas considérer que parler verlan c’est possible sans pour autant en perdre son latin !

 

L’aviez-vous remarqué ?

Fianso est le verlan du rappeur Sofiane. Pourtant, à y réfléchir, il aurait pu choisir de se faire appeler, toujours en verlan, Anne-Sophie ! Preuve, si besoin en était que le verlan est avant tout une question d’usages et de pratiques se défiant des règles figées.