Le jeu de mots (et de maux), de Tardieu à l’OuliPo

Parce qu’ils font s’entrechoquer le sens et le son des mots, les jeux de mots sont une manière (d)étonnante de découvrir la richesse d’une langue. Le français est riche de ces jeux autour desquels certains écrivains ont construit leur œuvre. Découvrons ensemble le plaisir de jouer avec les mots et le sens qu’ils peuvent avoir.
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L’incroyable variété des jeux de mots

Dresser la liste des types de jeux de mots existants c’est déjà risquer l’étourdissement : anagrammes, charades, palindromes, rébus, paronomase, etc…  Chacun d’eux a une définition bien précise et les (re)connaître est déjà un art.
Concentrons-nous sur un jeu de mots qui se sert de ces derniers sans les modifier : le calembour. Il consiste à jouer avec les sens multiples des mots et avec leurs sons. L’humoriste Pierre Desproges en était friand en disant par exemple « Nous le savons et pas seulement de Marseille » jouant sur l’homonymie sonore entre le bien connu savon de Marseille et la conjugaison du verbe savoir. Derrière l’humour, le calembour peut aussi se faire poétique et Jacques Prévert aimait en truffer ses œuvres : « De deux choses lune, l’autre c’est le soleil ». Si à l’oral, quand on entend la première partie de la phrase on pense à l’une, la seconde partie agit comme un miroir pour nous faire penser à lune!
Les jeux de mots peuvent répondre à des règles de construction strictes. C’est le cas de la contrepèterie, phrase qui prend un autre sens, quand on intervertit certains sons. « Je vais chercher les choux du patelin » devient par permutation des sons [p] et [ch] « Je vais chercher les poux du châtelain. ». La légende veut que nos amis belges aient inventé avec « Il fait beau et chaud » une contrepèterie qui ne change pas le sens de la phrase « Il fait chaud et beau » bien que les sons soient interchangeables. C’est bien souvent à de fins grivoises que les contrepèteries sont utilisées, aussi la bienséance nous interdit d’en donner ici de tels exemples !

 

Les illustres créateurs de jeux de mots

De nombreux auteurs ont fondé leur œuvre autour des jeux de mots. Citons par exemple Jean Tardieu, l’auteur de Un mot pour un autre en 1951. Dans cette pièce de théâtre les personnages sont affectés d’un trouble fort ennuyeux : ils remplacent les mots attendus par d’autres qui n’ont rien à voir. Et pourtant, la pièce demeure néanmoins étonnamment compréhensible pour le spectateur. Par exemple, le personnage de Madame accueille son amie la Comtesse de Perleminouze avec enthousiasme et avec ces mots totalement saugrenus : « Chère, très chère peluche ! Depuis combien de trous, depuis combien de galets n’avais-je pas eu le mitron de vous sucrer! ». Avec ses jeux de mots, Tardieu interroge le sens (ou son absence) de la vie.

L’Ouvroir de littérature potentielle, plus connu sous le terme d’OuLiPo est sans conteste le mouvement littéraire qui va pousser le plus loin l’expérimentation en matière de jeux de mots. Fondé en 1960 par le mathématicien François Le Lionnais et par l’écrivain Raymond Queneau, l’OuLiPo a pour but de développer de nouvelles formes du langage au moyen de contraintes et de jeux d’écriture. L’écrivain qui a donné le plus grand écho aux expérimentations de l’OuLiPo est   Georges Perec. Il écrit en 1969 La disparition, texte qui ne contient pas la lettre « e », la lettre la plus utilisée en français ! Il s’agit donc d’un lipogramme, une contrainte formelle chère aux oulipiens qui consiste à se passer d’une lettre dans un texte. S’imposer cette contrainte oblige évidemment l’auteur à quelques petits ajustements, ainsi l’expression « se mettre sur son trente-et-un » devient « se mettre sur son vingt-huit plus trois » : « Chacun gagna son local privatif, puis rapparut, un instant plus tard, mis sur son vingt-huit plus trois. ».     

Si le défi littéraire est amusant (et exigeant), il est très loin d’être futilement utilisé. En faisant disparaître une lettre de son œuvre, Pérec écrit en filigrane comme une métaphore de la Shoah et de la disparition des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Preuve s’il en était besoin que le jeu de mots peut être sérieux et utile pour dire les maux.

 

Le saviez-vous ?

Une anagramme consiste à composer une expression à partir des lettres d’une autre expression. Par exemple la phrase « Le Commandant Cousteau » a pour anagramme « Tout commença dans l'eau ». Pas vraiment étonnant non ?