
Mermoz, Guynemer, Ader, Blériot, Nungesser, Roland-Garros… Ces pionniers des temps héroïques de l’aviation sont entrés par la grande porte dans la légende des airs. Mais se doute-t-on qu’une femme a enchaîné, entre les deux guerres mondiales, les records dans les airs jusqu’à devenir la plus grande aviatrice de son temps ? Dans Une trace dans le ciel (Arléa), la romancière Agnès Clancier fait revivre pour notre plus grand plaisir le destin hors-du-commun de cette femme d’exception : Maryse Bastié. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a incitée à écrire un roman sur la vie de Maryse Bastié, cette pionnière de l’aviation aujourd’hui oubliée ?
J’ai découvert cette héroïne extraordinaire quand j’avais une dizaine d’années en regardant avec ma mère un téléfilm qui racontait sa vie. Je me souviens de notre fascination devant cette femme, née à la fin du siècle précédent, qui osait tout, ne tenait aucun compte des contraintes de son milieu, ne se laissait jamais interdire quoi que ce soit et allait jusqu’au bout de ses désirs. Pourtant, rien ne la prédestinait à un tel destin. Née à Limoges dans un milieu ouvrier, elle a perdu son père à l’âge de dix ans et a dû travailler très jeune.
J’avais envie de comprendre comment une petite ouvrière de Limoges peut devenir la plus grande aviatrice du monde. Elle a battu dix records mondiaux d’aviation dans les années 1930 et, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, un magazine l’a citée parmi les dix femmes les plus célèbres de la planète. Or, si aujourd’hui des centaines d’établissements scolaires et de rues portent son nom, le grand public a un peu oublié quelle femme extraordinaire elle était et tout ce qu’elle a accompli pour son pays. Je trouvais cela injuste et, pour cette raison, ce livre m’est apparu nécessaire.
Au-delà de son destin d’aviatrice, c’est d’ailleurs une héroïne tout court…
En effet, elle n’a pas été seulement une héroïne de l’aviation, mais aussi, dès les premiers jours de la Seconde Guerre mondiale, une Résistante. Elle a été la première femme Commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire, a reçu la Croix de guerre et la Médaille de la Résistance. Pourtant, elle avait plus de 40 ans quand la guerre a commencé ! Il n’empêche, elle a gardé toute sa vie cette flamme, cette détermination inébranlable, n’a jamais hésité à défier la mort pour poursuivre son idéal de liberté.
Le ciel est longtemps resté en littérature une affaire d’hommes. Or vous pensiez que le temps était venu de rendre justice aux aviatrices…
Les aviatrices ont en effet subi toutes sortes d’injustices. Dans les années 1920 et 30, dans le milieu de l’aviation comme dans les autres, on faisait tout pour empêcher les femmes d’agir. Et si, malgré tous les obstacles, elles parvenaient à battre des records et accomplissaient des exploits, on s’arrangeait pour les minimiser. Quand une femme battait un record mondial, c’était toujours un record féminin, même si aucun homme ne l’avait battu. On les a aussi plus vite oubliées. Il faut cependant reconnaître que beaucoup d’aviateurs ont aussi été injustement oubliés. On se souvient de Mermoz et de l’Aéropostale, mais on a oublié les pilotes qui, comme Maurice Drouhin, ont perdu la vie en testant l’Arc-en-Ciel, le premier avion qui sera capable de traverser l’Atlantique.
On doit notamment à Maryse Bastié le record de durée de vol, il y a de très beaux passages dans le livre à ce sujet.
Personne, depuis, n’a battu ce record de la durée en vol par un pilote seul à bord. Pour percevoir le caractère exceptionnel de cet exploit, il suffit de se rappeler sa date : du 2 au 4 septembre 1930. Ce n’est pas un jour mais trois ! Cela donne une idée de l’endurance nécessaire et de la souffrance physique qu’elle a dû affronter. Mais ce que j’admire le plus est sa capacité à surmonter les échecs. Avant de réussir à battre ce record, dit « des 38 heures », elle a dû faire de nombreuses tentatives et a échoué plusieurs fois dans des circonstances très difficiles.
Quand le record est passé à 35 heures 44, remporté par Léna Bernstein, une aviatrice de la même trempe que Maryse, tout le monde pensait que l’affaire était entendue, qu’il était impossible d’aller au-delà. Maryse Bastié ne s’est pas démontée. Elle a continué, réalisant des vols de douze heures, puis de 26 heures, pour à chaque fois échouer. Après l’échec des 26h, elle était dans un état physique si lamentable qu’elle a annoncé vouloir abandonner. Pourtant, dès le lendemain, elle revenait à l’aube à Orly pour réviser son avion en vue d’une nouvelle tentative.
On atteint là des limites, comment est-ce possible physiquement ?
Pour s’empêcher de dormir, elle s’aspergeait de l’eau de Cologne dans les yeux. La brûlure était tellement douloureuse que cela la tenait éveillée. Ces petits avions faisaient en outre un vacarme épouvantable. Ce n’était pas stable, la cabine était minuscule et empêchait presque tout mouvement. Tout cela au milieu d’horribles odeurs d’essence et d’huile. Il fallait un courage immense pour supporter tout cela. Mais repousser les limites est ce que font les héros. Et elle était une héroïne.
Le Klem L25, le Simoun…. certains parfois se sont transformés en cercueil mais il y a une poésie attachée à ces avions.
Beaucoup de ces avions sont devenus mythiques. L’Arc-en-Ciel, bien sûr, qui a été le premier capable de traverser l’Atlantique. Mais aussi, plus ancien, le Caudron G3, un avion né en 1914, avec lequel Maryse a réalisé son premier exploit à Bordeaux. C’est à bord de cet avion, qui ressemble à une boîte d’allumettes, minuscule, fait de bois et de toile, qu’Adrienne Bolland a traversé les Andes en 1921. Elle avait 26 ans et elle non plus n’avait peur de rien. Le Caudron G3, qui plafonnait à 4000 mètres, était incapable de traverser les Andes. Pourtant, parce que l’avion qu’elle avait demandé n’arrivait pas, Adrienne Bolland a décidé de partir à l’assaut des Andes avec cet appareil. Elle est arrivée le visage en sang, ce qui pour elle était un détail ; la carlingue, en effet, n’était pas fermée à cette époque. Naturellement, Maryse et Adrienne sont devenues des amies.
Étaient-elles contemporaines ?
Elles avaient à peu près le même âge et beaucoup de points communs. Toutes les deux se sont engagées dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, comme d’autres aviatrices d’ailleurs. Mais Maryse Bastié est morte en 1952 à bord d’un prototype qui s’est écrasé sur l’aéroport de Bron, alors qu’Adrienne Bolland a vécu jusqu’au milieu des années 11970. Maryse Bastié, pour avoir eu un destin hors du commun, n’était pas la seule de son espèce et j’évoque dans mon livre les autres héroïnes de cette époque : Léna Bernstein, Hélène Boucher, Maryse Hilsz... Toutes des femmes extraordinaires, inspirantes, qui nous ont ouvert la voie vers davantage de liberté et d’égalité. Il faut les garder dans nos mémoires, on leur doit bien ça.