
Infox, courriel, effet de serre, divulgâcher, mot-dièse… Ces termes, entrés dans le vocabulaire courant, émanent tous d’une même entité : la Commission d’enrichissement de la langue française (CELF). Placée sous l’autorité de la Première ministre, elle a pour objectif de trouver des termes dans la langue de Molière pour décrire des notions nouvelles émanant du vocabulaire technique comme l’économie, la science ou le juridique. Cette commission, créée en 1996, est coordonnée par la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) du ministère de la Culture.
Ces néologismes, souvent d’origine étrangère, sont étudiés par des groupes d’experts ministériels, dix-neuf en tout, composés entièrement de bénévoles ; l’un d’entre eux dépend du ministère de la Culture pour les mots relevant de ses compétences et tous sont accompagnés par une équipe de terminologues. « Nous sommes des passeurs de savoir-faire terminologique, explique Valerio Emanuele, l’un d’entre eux. Nous rédigeons des fiches terminologiques avec un but : identifier de nouveaux mots qui apparaissent, issus du vocabulaire technique et la plupart du temps en langue étrangère, puis définir les notions et proposer un équivalent en langue française. »
Leur travail doit atteindre le consensus et le résultat doit être à la fois pertinent pour les professionnels et compréhensible par le grand public. Un travail pointilleux sur les mots, qu’illustre bien un exemple : time-lapse, devenu hyperaccéléré.
Sollicités par un internaute
Tout commence en décembre 2018. Par l’intermédiaire de la boîte à idées de FranceTerme, le site internet consacré aux termes recommandés par la Commission d'enrichissement de la langue française, arrive une suggestion d’un internaute anonyme : time-lapse. En 2021, près de 20 % des termes finalement publiés au Journal officiel ont été conseillés par les utilisateurs du site, qu’ils soient spécialistes ou d’un plus large public. Mais ce canal n’est pas le seul par lequel les nouveaux termes arrivent. « Nous travaillons avec les groupes d’experts thématiques regroupés dans les ministères et chargés de faire une veille », explique Nathalie Lanckriet, l’une des trois terminologues au ministère de la Culture.
Ce terme time-lapse est accompagné d’une première suggestion de définition par l’internaute : « technique de réalisation d’un film obtenu image par image (souvent avec un appareil photo), puis visionné en accéléré ». Cette proposition est complétée par de premiers éléments d’aiguillage fournis par les terminologues : les deux termes « accéléré » et « chronophotographie » issus de nombreuses recherches documentaires de l’équipe.
Du groupe d’experts à l’Académie française
Une fois ce terme reçu, ses critères de pertinence étant remplis, il est transmis au collège « culture et médias », avec l’appui du collège « informatique ». Ces collèges sont composés de membres de droit des différentes instances comme l’Académie française, la DGLFLF, de membres des différentes directions du ministère mais aussi d’un panel d’experts dans les différents domaines couverts : la mode, le cinéma, la musique etc.
Deux séances de ce groupe d’experts seront nécessaires pour arriver à une première proposition, en juin 2019. « Il y a eu un long débat sur le terme chronophotographie qui n’a finalement pas été retenu car trop technique, pas assez grand public », se souvient Julie Andreu, terminologue. Hyperaccéléré est l’équivalent retenu avec une nouvelle définition, à savoir « procédé de prises de vues à intervalles réguliers, sur une longue période, permettant d’obtenir un effet d’accéléré lors du visionnage de la séquence réalisée ».
Cette proposition est transmise à la CELF qui demande la contribution de ses partenaires francophones, dont le Bureau de la traduction du Canada. Si le terme accéléré semble faire l’unanimité, le préfixe hyper est plus sujet à débat car moins utilisé outre-Atlantique, où on lui préfère ultra. La CELF, elle, se pose même la question de l’utilité de ce préfixe hyper, « d’autant plus que la définition mentionne un effet d’accéléré » écrit-elle dans l’un de ses comptes rendus. Finalement, hyperaccéléré sera conservé car le time-lapse consiste à prendre des photographies à intervalles réguliers pour obtenir un effet d’accélération au visionnage, ce qui est une technique différente de l’accéléré.
De l’accord de la ministre à la mise en ligne sur FranceTerme
Hyperaccéléré et sa définition sont ensuite transmis à l’Académie française mais reçoivent un avis « réservé » avec quelques suggestions de suppression et remplacement de mots. La CELF va prendre en compte ces remarques et proposer une deuxième définition : « technique qui consiste à effectuer des prises de vues d’un même objet à intervalles réguliers, sur une longue période, et à les assembler en une séquence vidéo de façon à obtenir un effet d’accéléré. »
Cette fois-ci, l’Académie française donne son feu vert. Le dossier time-lapse entre dans une nouvelle étape : sa validation par la ministre de la Culture elle-même. Celle-ci a un mois pour s’opposer à la définition et à l’équivalent. Pas de souci pour hyperaccéléré, qui peut donc désormais être publié au Journal officiel le 23 mai 2020. Cette parution aboutit à une mise en ligne sur le site FranceTerme. Désormais, ce terme est obligatoire dans toute l’administration et donné à titre indicatif pour le grand public, qui peut décider de s’en emparer ou non.
Comme time-lapse, plus de deux cents mots trouvent leur équivalent en français chaque année, le plus souvent dans des domaines très concernés par l’innovation technique comme par exemple le nucléaire. Entre l’ouverture d’un dossier et la parution au Journal officiel, il s’écoule environ une année, délai incompressible en tenant compte des différentes navettes entre les organismes.
Prime time, money time… : comment traduire le temps ?
Outre time-lapse, la CELF s’est employée à trouver les équivalents d’autres notions. Et on peut dire que parfois, ces temps-là valent littéralement de l’or ! Périodes charnières dans le paysage audiovisuel, les prime time et access prime time sont les tranches horaires cruciales. En français, dites plutôt « heure de grande écoute » et « avant-soirée ».
Le temps est également une donnée importante dans le sport : les athlètes se battent contre le chronomètre, là où le football peut accorder des minutes additionnelles bien longues pour certains supporteurs. Le time-out, devenu « arrêt de jeu » sur FranceTerme, désigne l’interruption du jeu par l'arbitre, dont la durée est reportée à la fin du temps règlementaire de la partie. Et en basket, les ultimes moments d’une rencontre peuvent se transformer en moneytime – ou « minutes en or » – pendant lequel chaque point marqué peut être décisif.