Petite histoire du mot « temps »

Depuis son origine latine, le mot temps, en constante mutation, s’est enrichi au fil des siècles de nouvelles significations. Le point avec Jean Pruvost, terminologue, lexicologue et historien des mots.

Comment est né le mot « temps » ? C’est à cette vaste tâche que s’est attelé le lexicologue Jean Pruvost. Remontant au Xe siècle, l’historien des mots a traqué les origines latines du terme, décortiqué son orthographe depuis les formes archaïques en ancien français jusqu’à aujourd’hui. Une occasion de constater que la langue n’est pas figée, bien au contraire : les sens du mot « temps » s’enrichissent constamment avec de nouvelles expressions issues du contexte historique… Interview.

 

En tant que lexicologue, travailler sur le mot « temps » prend-il beaucoup de… temps ?

Sans jeu de mots, c’est un travail qui prend en effet plus de temps que pour les autres mots (rires). Pour les mots polysémiques, il est parfois très long de faire le lien entre les différents sens car l’important est de retrouver la bonne chronologie et de repérer comment on passe d’un sens à un autre sans oublier le sens précédent.

L’un des traits les plus frappants de l’histoire du mot « temps », c’est la grande pérennité de ses significations, restées relativement homogènes depuis l’origine. C’est un phénomène assez remarquable, qui le différencie de certains mots qui changent de sens à travers les siècles

 

Le mot « temps » recouvre des sens très divers et très courants. Ont-ils tous la même étymologie ? Et peut-on dater leur entrée dans la langue courante ?

Oui, tout vient du latin tempus qui désigne le moment, l’instant. Tous les sens latins, déjà très divers même si logiquement reliés, vont entrer dans notre langue dès la seconde moitié du Xe siècle. Dès cette période, on parle aussi bien du temps en tant que période du passé que du temps qu’il fait.

La formule « comme au bon vieux temps » se trouve déjà chez le poète Marot en 1538 et « prendre du bon temps » est attesté en 1561. Une fois la langue solidement implantée, on peut revenir sur elle : c’est au XIVe siècle qu’apparaît la notion de « temps grammaticaux ». Un peu plus tard, d’autres sens naîtront, comme en 1677 avec les temps dans la musique, ainsi que la formule « en deux temps trois mouvements » issue de l’escrime pour toucher l’adversaire rapidement. Enfin, en 1889, apparaît « le moteur à quatre temps ».

Comme vous pouvez le voir, on n’en finit pas d’énumérer des usages du mot « temps ». Sans parler d’ailleurs de ses dérivés, comme la tempête en tant que dérèglement du temps, mot attesté en 1080…

 

Qu’en est-il de l’orthographe du mot ? On peut dire que le temps a pris son temps avant d’obtenir son « p »…

Au Moyen Âge, la langue n’étant pas fixée, les graphies étaient plus approximatives [en vieux français temps s’écrivait tens, tanz, tans ndlr] l’important est la connaissance du mot, plus que sa forme. En effet, à cette époque, la majorité des Français ne savaient pas écrire et la transmission était avant tout orale ; le mot, issu donc du latin tempus, va s’éroder phonétiquement sur sa syllabe accentuée, donc supprimer la dernière syllabe « -pus ».

Cela va changer au fur et à mesure avec l’invention de l’imprimerie [au XVe siècle ndlr] et, autre jalon fondamental, avec l’implantation des dictionnaires qui vont rappeler l’origine latine des mots. Ce « p » va également permettre de dissocier des homographes [des mots qui ont la même orthographe ndlr] et donc garantir une lecture plus facile et une compréhension plus rapide.

Vous dites que le mot « temps » n’a sans doute pas fini sa carrière. Quels nouveaux usages du mot sont apparus et d’autres sont-ils à prévoir ?

Le mot « temps » recouvre un concept particulièrement important, dont la portée touche aussi bien la philosophie, la physique ou la sociologie ; de ce fait, il ne serait pas étonnant que de nouvelles expressions soient en gestation. Il n’y a aucune raison que l’on n’ait pas des adjectifs ou des noms qui s’y raccrochent comme par exemple l’expression « temps partiel », née de manière autonome au milieu du XXe siècle dans le monde médical avec la réforme hospitalière de 1959. On parle aujourd’hui du « temps de retraite », au cœur de tous les débats actuels, mais on n’en parlait ni au Moyen Âge, ni au XIXe siècle. Je me rappelle aussi d’une chanson de Georges Moustaki : « Avoir le temps de vivre », slogan repris lors de mai 68.

Le linguiste Gustave Guillaume considérait qu’un mot évoluait dans le temps, avait un sens premier très fort avant d’être repris par métaphores successives. C’est précisément ce que l’on peut observer avec le devenir du mot « temps », dont l’analyse est à elle seule une traversée des époques successives.

Dernier ouvrage paru : Marcel Proust, psychologue original dans les dictionnaires, éditions Honoré Champion.