
C’est une sorte de rêve éveillé, une fantasmagorie fascinante, qui nous propulse dans le monde du merveilleux propre aux contes de fées. La « robe couleur de temps », l’un des motifs les plus fameux de Peau d’âne, le conte de Perrault qu’on ne présente plus, n’en finit pas de hanter les imaginations enfantines (et celles des adultes, aussi…).
Et puis, un beau jour, ce rêve merveilleux s’est matérialisé sous nos yeux par la magie du cinéma. Dans l’adaptation cinématographique qu’il tire de ce conte de fée, Jacques Demy fait porter à Catherine Deneuve une robe bleue incrustée de pierre précieuses, où l’on voit défiler le ciel, les nuages, le temps qu’il fait. C’est – à la lettre ! – la robe couleur de temps du conte…
Et – c’est là que se situe le véritable miracle – la magie du récit opère autant dans le conte de 1694 que dans le film de 1970, malgré des ressorts, des rouages, des stratégies, des formes, radicalement différents.
Alors, Peau d’âne, versions 1694 et 1970, même combat ?
Peau d’âne, version 1694 : un conte de fées aux tonalités toujours actuelles
Publié en 1694, Peau d’âne est l’un premiers contes de Charles Perrault (1628-1703), forme qui devait valoir une place de choix au panthéon de la littérature française à cet éminent critique, l’un des initiateurs de la Querelle des Anciens et des Modernes. Véritable coup de maître, Peau d’âne, écrit en vers, raconte l’histoire d’un roi qui doit se remarier après la mort de sa femme avec – promesse faite à sa défunte épouse – une femme encore plus belle qu’elle.
Après des recherches infructueuses, il réalise que la seule personne capable de rivaliser avec sa défunte épouse n’est autre que sa fille, qui lui ressemble beaucoup. Il la demande en mariage mais celle-ci, pour échapper à cette union incestueuse, demande en contrepartie à son père trois créations a priori irréalisables : une robe couleur de temps, une robe couleur de lune et enfin une robe couleur de soleil.
Peau d’âne, version 1970 : un film merveilleux aux couleurs de l’univers Pop
« J’ai lu tous les contes dans ma jeunesse, raconte Jacques Demy, je les aimais beaucoup et quand j’ai relu Peau d’âne adulte, j’ai pensé qu’il y avait deux films : un pour les adultes, un autre pour les enfants. » Il parle aussi d’un « conte de fée réaliste ». « Pour croire à un prince charmant, à une princesse, un roi ou une reine, poursuit-il, il faut que ce soit des personnes comme vous et moi, avec des réactions humaines dans le quotidien. Plus ils sont vrais, plus le merveilleux intervenant au milieu du réalisme sera étonnant. »
Le cinéaste décide alors de réaliser ce long-métrage en reprenant le récit de Perrault, mais en jouant sur la mise en scène « réaliste » d’éléments relevant du « merveilleux ». C’est ainsi qu’il place le récit à travers le regard sans interdit d’un enfant de sept à huit ans. C’est ainsi qu’il convoque alors une esthétique très pop, aux couleurs vives et aux contrastes marqués entre le rouge et le bleu symbolisant les deux royaumes. C’est ainsi qu’il fait fabriquer, « en vrai », une robe couleur de temps…
La robe couleur de temps, du mythe à la réalité
Pour confectionner les costumes de son film, Jacques Demy fait appel à Agostino Pace, qui dispose de très peu de temps pour présenter ses créations. Pour la robe couleur de temps, il propose, comme pour les deux autres, un vêtement dans un style Louis XV, de couleur bleue et incrusté de joyaux. Cette robe sera ensuite conçue par la costumière italienne Gitt Magrini.
La particularité de cette robe réside dans le trucage utilisé pour faire défiler les nuages sur le vêtement. Pour permettre cette astuce, le costume a été fabriqué avec une toile… d’écran de cinéma. Pour que l’effet « nuage » soit présent de bout en bout sur la robe, un technicien suivait en permanence l’actrice en projetant l’image. Du point de vue de Catherine Deveuve, cela donne un vêtement très lourd et difficile à porter, d’un poids « effarant ». Mais le point de vue de Jacques Demy est tout autre. Le réalisateur a réussi sa gageure : donner à voir la robe couleur de temps.